De l’après-guerre aux sixties, les plaies se pansent, la vie avance et les femmes s’éveillent
Le 2 septembre 1945, le monde et l’humanité toute entière sortent la tête de l’eau pour y respirer, enfin un peu d’air, quelqu’il soit. Mais ce n’est pas sans un pic d’amertume que l’on regarde, à ce moment-là de notre histoire, un environnement fait de paysages meurtris. Les cœurs, en général, sont minés, détruits, et ne demandent que du temps pour se reconstruire à leur rythme. Bien qu’il soit difficile d’avancer avec le souvenir d’un épisode de guerre marquant, les énergies des survivants sonnent, à ce moment-là, comme cette phrase d’une célèbre chanson d’Edith Piaf. Vous savez, celle qui dit “ Je repars à zéro ”. Et cela va sans dire que les langues pouvaient facilement prendre la fuite lorsqu’il s’agissait de revenir sur le sujet de ces six ans et un jour de chamboulement total. Traduction compréhensive de blessures douloureuses, sur lesquelles on a placé un solide pansement, que l’on enlèvera plus jamais, c’est certain.
La “ Liberté, liberté chérie ”, celle que Pierre Mendès France écrivait sur le vif lors des combats, reprend ses aises, petit à petit. N’étant plus tenue en otage, elle suit sa route, retrouvant un peu de douceur, tout en s’élançant vers davantage de légèreté. La vie, cette pulsion qui, armée de patience, se rallume telle une bougie que l’on aurait préservée avec l’espoir de la revoir briller un jour. Un jour meilleur, fait de naïveté, d’insouciance et d’une vague de bonheur qui n’en finirait jamais.
Les années passent et se rythment sur la dynamique d’un quotidien relativement calme, et plutôt “banal” dirait-on. Dans la logique d’une vision dite “classique”, “généralisée” voire “stéréotypée” des situations courantes à l’époque, les gens se rencontrent dans les bals Musette et forment des couples, de façon simple et sans prise de tête. Se plaire était un fait, certes, mais il était plutôt question de suivre une sorte de norme, celle des gens heureux, qui s’unissent, car le mythe du bonheur reposait bien sur le fait d’être, et de s’aimer à deux. Puis, dans la continuité vient le mariage et l’achat d’un bien immobilier pouvant accueillir cette envie de “faire famille” en suivant le modèle de procréation. Enfin, la routine s’installe. Les hommes partent le matin travailler, et les femmes, elles, restent à la maison, pour entretenir le foyer. Malgré une grande victoire sur le droit de vote un peu plus tôt, ces dernières occupent encore une place assez réduite au sein de la société dans la décennie de 1950. Cuisinières hors pair, ménagères aguerries, épouses fidèles et mères exemplaires, elles incarnent donc le profil typique de ces femmes qui évoluent dans le périmètre d’un train de vie malheureusement restreint.
Sur la table de nuit, ou bien sur celle du salon, on peut y apercevoir une sorte de guide qui propose aussi bien des recettes de cuisine, que des exercices pour rester en forme (et surtout pour entretenir cette idée du corps de rêve, dans le souci de plaire toujours autant à leur mari). Sans oublier tout un tas de conseils pour incarner au mieux le “plus beau rôle”
qu’une femme pourra jouer au cours de son existence, celui d’être une mère. En effet, dans la revue “Foyer de France”, on n’y parle pas tellement politique. Et la dimension du travail ? Non plus.
Mais quand les sixties débarquent, c’est une grande surprise qui frappe à la porte des dames ! Un réveil qui brise les barrières sur le plan professionnel, et qui renverse notamment les codes vestimentaires. “L’audace”, c’est sûrement le maître-mot émancipateur de cette période pour les femmes. On abandonne le format long des jupes, et on opte pour la version courte lancée par André Courrège. Comme le clame si bien le groupe La Femme dans la chanson “Si un jour”, les ménagères “abandonnent leur moulinex” et entrent sur le marché du travail. Elles deviennent “unisexes” en portant des pantalons, qui jusque-là n’étaient réservés qu’à la gente masculine. Il en va de même pour le smoking, qu’Yves Saint Laurent démocratise en créant un modèle exclusivement féminin.
Toutefois, si la vie des femmes, à cet instant de l’histoire, prend un tournant considérable, il est important de notifier qu’elle n’atteint pas encore les avantages que détiennent les hommes. On remarque que les derniers mouvements de mode cités plus haut n’ont pas été impulsés par des figures féminines. Idem pour la loi Neuwirth qui autorise le droit à la contraception en 1967. Sous-entendu que les postes à responsabilité n’étant pas encore accessibles pour elles, et qu’il faudra plus de temps pour ancrer leur positionnement légitime dans le monde du travail.
Alors, on ne peut que se questionner. Les hommes, ont-ils fait preuve d’un coup de pouce solidaire dans le but d’encourager les femmes à se libérer de leur foyer, ou ont-ils, encore une fois, exercé une forme de contrôle en sortant la carte du pouvoir qu’ils détiennent depuis toujours ?
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